De quelle couleur est la passion ? Hommage à Philippe Pascal (2025)

Il y a des voix qui ne pourront jamais s'éteindre. Des chants qui continuent de rôder sur nos platines, entre deux grésillements de vinyle et un souvenir qui revient toujours très vite. Celle de Philippe Pascal est de celles-là. Leader magnétique de Marquis de Sade, poète fiévreux de Marc Seberg, duo fantastique de Philippe Pascale, bluesman charismatique avec The Blue Train Choir… Il a laissé derrière lui un héritage incandescent : une cold-wave à la française, un rock fier, lettré, enlacé de poésies, à tout jamais dans la voie lactée de nos cœurs. Six ans après sa disparition, un collectif de musiciens, d'ami(e)s avant tout, reprend le flambeau et signe un disque-hommage qui ne sonne pas comme une simple commémoration, mais comme une célébration furieuse, évidente et émouvante.

Ici, pas de respect feutré ni de gants blancs : on sent que les artistes invités ont voulu raviver la braise plutôt que polir la mémoire. Bien sûr, on entend la révérence, Philippe Pascal reste intouchable, inimitable, sa présence plane sur chaque mesure, mais c’est justement cette tension entre mémoire et réinvention qui donne toute sa force et sa beauté au disque. On navigue entre fidélité et liberté, avec cette idée que la meilleure façon d’aimer un artiste, c’est de ne pas le copier mais de le rendre encore plus beau.  

Casque vissé sur les oreilles, l'esprit ailleurs porté par ces nouvelles mélodies que je connais par cœur, je me dit que Philippe Pascal aurait sans doute souri de travers, avec ce mélange de classe et de distance qui semblait le caractériser. Et puis il aurait peut-être allumé une clope, haussé les épaules et lâché un « ça tient debout ». Ce disque, oui, tient debout. Je vois ça comme ça, c'est mon ressenti d'auditeur lambda, de fan admiratif du personnage, de son histoire d'artiste et de ses aventures musicales. Et contrairement à bien des albums-hommages que j'ai pu écouter et chroniquer par-ci par-là qui paraissent parfois bien fades ou pompeux, celui-ci redonne au rock français ce qu’il perd trop souvent : l'élégance. Oh oui l'élégance... Je me souviendrai toute ma vie de ce moment, sur le trottoir d’hiver du boulevard de la Liberté, quand nos regards se sont croisés, le mien, sans doute réservé, le sien si pudique mais lumineux, et ce sourire qu’il m’a offert, comme un bonjour silencieux, terriblement élégant. Je m’en souviendrai toujours. David Bowie venait de mourir, et je croisais celui qui m’émerveillait tant depuis que j'avais découvert avec l'album culte Rue de Siam durant mon adolescence… bref, ce midi du vendredi 17 octobre 2025 dans la capitale bretonne, en sortant du boulot je me suis précipité chez mon disquaire préféré rue Jean Jaurès, pour me procurer ce qui me pousse à la passion et je sais la couleur qu'elle a. C'est celle du cœur qui bat fort et heureux à ce moment précis où je traverse la ville, le 33 tours sous le bras. 

Dans ce disque à la pochette sublime, célébré autour de Pascale Le Berre et des projets Marc Seberg et Philippe Pascale, on retrouve des figures de la scène rennaise et française qui ont répondu présents pour chanter ses textes, entourés de musiciens de première date. Chacun apportant son éclairage, son inflexion, tout en respectant l’âme de l’œuvre de Philippe Pascal où chaque morceau est une fenêtre sur un univers, une époque, une intensité littéraire. Sous les yeux je vois une constellation d'artistes qui ne font pas un travail de deuil passif car après quelques premières écoutes j'entends qu'ils élèvent l’œuvre, transfigurent les émotions et transmettent toute la beauté à partager... 


Recueillement fut le premier extrait à venir avec une interprétation très émouvante d’Alan Stivell, qui ne chante pas ici en breton et c'est une surprise pour moi. Bravo à lui pour cette magnifique version fragile dont le piano propulse des émotions folles comme une mer calme avant les vagues à venir. Ce titre est bien choisi pour un premier extrait car il exprime parfaitement et profondément ce que beaucoup de personnes ressentent depuis ce triste 12 septembre 2019. Quelque chose, fragile. Dans la fragilité il y a aussi L’éclaircie par Dominique A. Reprise bien connue mais toujours bienvenue. (Vie étrange) Ensuite, sans surprise parce que c'est Étienne Daho, j'aime beaucoup beaucoup trop Jour après jour. Après je découvre. Je prends des claques et des larmes. Au niveau de la réorchestration c'est déjà très fort en émotion. Je reprends mes esprits dès que nécessaire, je ne cesse de secouer ma fourrure de frissons avant qu'elle ne soit trop lourde et je redécouvre vraiment, de façon très amoureusement Les nuits Chrysler par Nicolas Comment dont la version me fait penser à Dominic Sonic qui manque et que j'aurais aimé aussi entendre.., Jeux de lumière par Axelle Renoir, Les ailes de verres par Nouvelle Vague et Jeanne Cherhal, dont les voix féminines donnent une nouvelle couleur si intense aux textes, Strikes par la classe de Théo Hakola, l'excellent Je t'accorde par Denis Bortek (Jad Wio), Quelque chose, noir très envoutant par Blaine Reininger que je ne connaissais pas et que je me promets de découvrir rapidement. Et puis.. Et puis... Comme une éclaircie d'automne qui perce de gros cumulus à vive allure, I Am a Book vient se loger dans mon cœur. Bam ! Je m'écroule par la foudre de ce titre inédit de Philippe Pascal posé sur un poème de Delmore Schwartz. Je vais bientôt sur mes 47 ans et je chiale comme un enfant devant un cadeau bien trop beau. Bien trop émotif, je refuse de croire que je gaspille mon temps à écouter ce titre en boucle. Parce qu’au fond, ce n’est pas du temps perdu c’est du temps suspendu que je suis en train de vivre. Ce morceau, comme tout ce disque, rappelle a quel point la musique est capable de nous bouleverser. Philippe Pascal n’est plus là, mais sa voix, ses mots, sa musique, sa présence résonnent à travers celles et ceux qui l’aiment encore. Et moi timidement, témoin de ce bel hommage, je me dis que la passion reste vraiment l’essence de ce qui demeure quelques soient les épreuves de la vie.

Mais alors De quelle couleur est la passion ? La réponse est dans ce disque qui sonne comme une question ouverte, suspendue à l’horizon. Quelle teinte pour cette flamme intérieure ? Rouge ? Pourpre ? Bleu profond ? Gris électrique ? Il n’y a pas de réponse figée, mais s’écoute comme un kaléidoscope émotionnel. Mes émotions elles, viennent d'être bouleversées par ces belles tensions musicales, par ce disque mémorable où tous respectent cette même distance humble que Philippe Pascal gardait face à son propre chant. C'est un vrai disque poignant, une tempête d'amour, pour cette voix qui vibre toujours au fond du cœur et ne pourra jamais s'éteindre. 

Tracklist
01 - Recueillement – Marc Seberg feat. Alan Stivell
02 - Jour après jour – Étienne Daho
03 - L'éclaircie – Dominique A
04 - Jeux de lumière – Axelle Renoir
05 - Les ailes de verre – Nouvelle Vague feat. Jeanne Cherhal
06 - I Am A Book – Philippe Pascale (inédit, enregistré en 2000)
07 - Les nuits Chrysler – Nicolas Comment
08 - Je t'accorde – Denis Bortek
09 - Quelque chose, noir – Blaine L. Reininger
10 - Strikes – Théo Hakola

17 octobre 2025
Not A Bene


 

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