Une k7 de Renaud

Par nostalgie d'une époque où certains gestes étaient aussi précieux que passionnant et par amusement, je me suis demandé qu'elles seraient mes chansons préférées de Renaud que je pourrais enregistrer sur une cassette audio ? Trente minutes par face pour une compilation.

FACE A - 7 titres / 00:28:39

01 - Hexagone (Paris-Province aller/retour Live 1995)
Je ne peux pas commencer une compilation avec une autre chanson que celle-ci. Cette torche de mots, satire incendiaire envers la société et ces concitoyens fût interdite d'ondes à sa sortie (bah pourquoi ?), ce qui ne l’empêchera pas de devenir au fil des décennies un hymne de toutes les colères, de toutes les révoltes auprès d'un public de fidèles. Car bien qu'enregistrée en 1975, chaque couplet de cette chanson coup-d'boule reste plus que jamais d'actualité. Comme quoi l'espoir d'une société meilleure est bien utopique dans ce monde à la con. Vous y croyez encore vous ? Nous sommes tellement bien dans nos satisfactions personnelles et inutiles qu'on arrive sans mal à faire abstraction des problèmes qui nous entourent. Je choisis sans hésiter la version concert de 1995, non pas parce que je l'ai vu pour la première fois sur cette tournée, mais parce que dans l'énergie et le débit de rage, Renaud déboîte et fait plaisir à entendre.



02 - Banlieue Rouge
Quand il ne parle pas de sa femme ou de sa fille, Renaud excelle à tirer le portrait de gens ordinaires et souvent anonymes à la vie parfois monotone, dans un bon nombre de chansons (La bande à Lucien, La mère à Titi, les histoires de pépette, Elle est facho, Mon beauf, La ballade de Willy Brouillard, Mimi l'ennui, Doudou s'en fout, Germaine...). D'aussi loin que je me souviens, j'aime l'histoire de cette femme habitant un quartier de classe ouvrière, au quotidien banal qui semble lui convenir. Je l'aime, car elle synthétise tout ce que le chroniqueur portraitiste sait détailler à merveille. Et puis quand j'entends cette chanson, j'ai toujours envie de replonger dans l'album "Le retour de Gérard Lambert", l'un de mes préférés, que les fans intitulent affectueusement "Banlieue Rouge" ce qui n'est donc pas un hasard. Sur ce disque de 1981, on peut retrouver des perles comme Mon beauf, J'ai raté Télé-Foot, Oscar, Étudiant poil aux dents ou encore Soleil immonde écrit par son ami Coluche. Un album qu'il a enregistré dans un état de deuil après le décès de Georges Brassens survenu quelques mois plus tôt.



03 - J'ai la vie qui m'pique les yeux
Au bistrot du temps qui passe / J'bois un verre à la terrasse / J'me dis qu'à l'école de l'angoisse / J's'rai toujours l'premier d'la classe / Me raconter pas d'histoires / La vie c'est une tonne de cafards / C'est toujours un fond d'tiroir / C'est toujours un train qui part... A la pointe d'une plume magnifique, la nostalgie de Renaud se transforme en déprime enivrante. C'est tristement bien écrit, c'est musicalement beau et déjà si jeune (nous sommes en 1979), le chanteur ronge ses angoisses de la vie et du temps qui passe.



04 - Dans ton sac
Ma petite pépite de l'album "Marchand de cailloux" (1991). Écriture fantastique autour de ces choses si insignifiantes du quotidien comme fouiller dans le sac de sa femme en prétextant chercher les clefs de la voiture. Un geste anodin avant de déployer l'éventail de son imagination, de son humour, de sa tendresse et Renaud en dégage une histoire à l'émotion particulière, touchante. Je l'aime aussi pour la chute, qui montre l'habilité du parolier de génie qu'il est, pleine d'amour et de poésie : Faire le sac des dames c'est moche / Si tu veux tu m' fais les poches / Pour t' venger / Mais t'y trouv'ras presque rien / Plus souvent y a qu' mes deux poings / Bien serrés / Si j' les ouvre y' a tout l'amour / Que j'ai pour toi d'puis toujours / Qui s'envole / Alors j' les garde bien fermés / Comme ça j' garde aussi les clés / D' la bagnole....



05 - C'est quand qu'on va où ?
Une magnifique musique signée Julien Clerc. Sur ce chef d’œuvre de l'album "A la belle de mai" (1995) Renaud prête des paroles à sa fille collégienne qui s’interroge sur le monde qui l’entoure au lieu d'avaler bêtement tout ce que la société pouvait lui servir de soupe à l'époque. Aujourd'hui, on peut penser que c'est pire avec les réseaux et la majorité de ses contenus qui ne peuvent qu'appauvrir l'esprit de nos gamins. Rien ne change, l'essentiel est toujours ailleurs.



06 - Baltique
Et dire que ça se veut chrétien / Et ça ne comprend même pas / Que l'amour dans le cœur d'un chien / C'est le plus grand amour qu'il soit... Tout à un sens quand on aime les chiens. Renaud dira qu'il aime écrire des chansons d'amour et Baltique est une chanson d'amour pour un chien (Chorus, été 2002). Prévenez-moi lorsque quelqu'un / Aimera un homme comme moi / Comme j'ai aimé cet humain / Que je pleure tout autant que toi...  issue de l'album "Boucan d'enfer" (2002) cette chanson piano/voix magnifique parle de Baltique, la chienne labrador de François Mitterrand qui fut obligée de rester hors de l'église lors des obsèques de celui-ci en 1995, sous la pluie.



07 - Le sirop de la rue
Je suis très nostalgique de mon enfance et de quand je pouvais jouer jusqu'à pas d'heure dans la rue avec mes potes, entre nos conneries et nos parties de foot. Et surtout nos conneries. Certains souvenirs s'effacent à mesure que les années passent, mais il y a des chansons comme ça qui nous rappelle comment ne pas les oublier. Alors je chante (encore plus faux que Renaud évidemment) que Le jour où je mourirais / Puisque c'est écrit / Qu'après l'enfance c'est / Quasiment fini / Devant l'autre charlot / J'espère arriver / La boule à zéro / Et la morve au nez / Du mercurochrome / Sur mes genoux pointus / Qu'y connaissait l'arôme / Du sirop de la rue / Lui qu'a eu tant d'mômes / Et qui les a perdus... Enregistré chez lui dans le 14e arrondissement, entre la cuisine et les toilettes, la chanson est présente sur le disque "A la belle de mai" au boitier en métal qui me fascine encore aujourd'hui, comme une boite à trésors qu'on avait quand nous étions gosses...






FACE B - 8 titres / 00:28:18

08 - Ou c'est qu'j'ai mis mon flingue ?
J'ai commencé la face A de cette K7 avec un brûlot, je commence cette face B avec un autre brûlot, cinquième titre de l'album "Marche à l'ombre" (1980) disque dédié à Paul Toul, l'un des pseudos de Jacques Mesrine, abattu par la police le 2 novembre 1979. Si je choisis celle-ci, c'est juste pour le plaisir d'entendre toujours et encore le chanteur énervant énervé, éclipsant au passage des monuments comme Dans mon HLM, Marche à l'ombre ou encore It Is Not Because You Are présents sur cet excellent disque. Un jeune chanteur rebelle, aux revendications jouissives même si certains nez-d'bœufs et pousse mégots diront aujourd'hui que "Renaud c'est mort, il est récupéré". T't'façon, il n'a jamais chanté pas pour ces blaireaux...



09 - Rouge gorge
La chanson qui évoque Robert Doisneau en lui rendant hommage est un morceau nostalgique d'un Paris aux quartiers populaires des années 50-60 que l'enfant de Paname à vu changer au fil des années. Comme nous tous, où que nous soyons en France, témoins de promoteurs et de promesses démographiques dénaturant la vie sociale et le patrimoine Que les assassins ont livré aux flammes / Sans brûler leurs mains... Piano et accordéon s'accordent sur une mélodie mélancolique à fredonner de plaisir... Rouge-gorge doit son surnom bizarre / A sa jolie voix et à son foulard / Rouge son foulard autour de son cou / Rouge sa mémoire à jamais debout...



10 - Fatigué
Pour l'anecdote, si Mistral gagnant n'était pas tombé du ciel, l'album de 1985 aurait dû s'appeler "Fatigué". Dernière chanson de l'album, Renaud commence son écriture sur la place Rouge lors de son passage à Moscou et ce fameux concert qui le marquera à vie : Jamais une statue ne sera assez grande... et c'est tristement un régal tant il passe en revue tout ce qui est détestable dans ce bas monde. Le racisme, les guerres, la haine, la violence faite aux enfants, aux femmes, à l'inaction injuste écologique. De quoi baisser les bras ou monter le volume et bomber le torse. Au choix. Je voudrais être un arbre et plonger mes racines / Au cœur de cette terre que j'aime tellement / Et que ces putains d'hommes chaque jour assassinent / Je voudrais le silence enfin et puis le vent...

11 - La bande à Lucien
Celle-là aussi quand je tombe dessus, je ne peux m’empêcher d'écouter l'album "Place de ma mob" de 1977 en entier. L'un de mes préférés avec "Le retour de Gérard Lambert", "Putain de Camion", '"Morgane de toi", "Mistral gagnant" ou encore "Marchand de Cailloux". Et ce titre me rappelle les virées dans la Renault 11 d'Erwan, Renaud à fond dans le lecteur k7.



12 - Morgane de toi
De toutes les plus belles chansons de Renaud, genre celles que j'ai trop entendu et que tout le monde connaît, y a bien Morgane de toi dont je suis toujours... morgane ! Il s'agit là de la première chanson entièrement consacrée à sa fille Lolita (qui apparaissait furtivement sur deux-trois titres avant la sortie de cet album en 1983 : J'ai raté Télé-foot, Babysitting blues...) dont la musique intemporelle est l’œuvre de Franck Langolff. Le disque aurait pu annoncer la fin de Renaud, car il avait coûté une blinde, un Renaud d'ailleurs devenu papa dont l'écriture assagie aurait pu faire fuir une bonne partie de son public habitué à des coups d'clef à molette dans le crâne et autres histoires de mobs ou de voyons... résultat : plus d'un million cinq d'albums vendus. Pour la mélodie à la guitare électrique, et les envolées vers les aigus sur le refrain, Morgane de toi sera toujours de toutes mes compilations, mes playlists et autres sélections qui ne servent que pour mon plaisir...

15 - La médaille
L'un des plus beaux textes de la chanson française, du moins pour tout anar' ou antimilitariste qui se respecte. Ouais, les maréchaux et autres généraux de France sont tous des assassins quoi qu'on en dise. Au nom de quoi ? D'une idéologie politique ? Religieuse ? Puis encore une fois, le piano/voix ça me fait des choses difficilement explicables. Le texte, simple mais sublime, parfois gratuit mais peut-être criant de vérité à le mérite de ne pas appeler à la violence ni à la révolte, mais plutôt à la réflexion. Pour ne pas se tromper de chemin... Un enfant est venu / Aux pieds de la statue / Du Maréchal de France / Une envie naturelle / L'a fait pisser contre elle / Mais en toute innocence / Maréchaux assassins / Le môme mine de rien / A jolimenent vengé / Les enfants et les mères / Que dans vos sales guerres / Vous avez massacrés...



14 - La ballade nord-irlandais
Dans les meilleures places de la B.O de ma vie avec Hexagone. Parce que musicalement c'est déjà très fort et très beau. Tout est beau en Irlande de toute façon, même le gris du ciel. Puis pour ces punchlines qui ont marqué l'esprit de l'adolescent que j'étais : Tuez vos dieux à tout jamais / Sous aucune croix, l'amour ne se plaît / Ce sont les hommes, pas les curés / Qui font pousser les orangers... Chanson protestataire mais tellement tendre, on ne peut vouloir que faire le bien autour de soi quand ce genre de chanson nous touche. Moment fort, sur la tournée du Phoenix Tour de 2017. Malgré une voix pourrie et par moment insupportable, la communion en chœur du public était très émouvante, puissante, avec cette impression d'être tous unis autour de cet oranger pour une seule et même raison : l'amour et l'amitié.



15 - Germaine (Live à Bobino)
Souvenir, souvenir... d'une colonie de vacances, La Bernède à Prats-de-Mollo. été 86 ? 87 ? Je ne sais plus, mais je me souviens parfaitement de cet animateur, guitare à la main nous faisant chanter Germaine et du haut de nos sept-huit ans nous chantions que nous aimions la Kanterbräu Oh Oh ! Aujourd'hui, les trois-quarts des parents seraient en PLS et l'animateur au pied d'une potence. Quelle époque formidable. Et j'opte pour la version concert à Bobino, car c'est le premier disque 33tours de Renaud que j'ai tenu dans mes petites mains, et le dessin de la pochette me fascinait. Je ne me sentais pas capable d'en faire un aussi beau.