Marie-Annick Lépine - Entre Beaurivage et L'Ange-Gardien (2021)

C’est une petite maison, là toute seule, au fond du lotissement, ou au bout du rang comme disent les Québécois. Une expression à propos puisque nous y sommes, au Québec, plus précisément dans la petite ville de l’Assomption, quelque part entre la rue Beaurivage et le quartier de l’Ange Gardien. Je ferme les yeux, l'odeur et les souvenirs me reviennent. J'imagine cette petite maison, son ossature en bois est modeste, mais la masure résiste à bien des tempêtes. Et puis, le porche est grand, signe d’une intense activité extérieure dès lors que les beaux jours reviennent.

Ici, l’hiver s’est installé, le froid engourdit la maison et la guitare trouve le repos au coin du feu. Mais une lumière discrète, fébrile tout autant que vivace, luit au cœur de la nuit. Et cette lumière jaillit si fort, tant et si bien, qu’elle illumine le voisinage, le quartier, la ville, le continent, la Terre entière. Et à la réaction initiale, bien naturelle, qui consiste à craindre l’arrivée de la facture d’électricité, succède cette irrépressible fierté d’avoir inondé le monde de sa lumière.

Et lorsque le rayonnement se fait musique, il prend la forme du troisième album de Marie-Annick Lépine, flamboyante multi-instrumentiste des Cowboys Fringants. Avec Entre Beaurivage et L’Ange Gardien, elle nous offre un album à son image : discret, authentique, tout autant qu’espiègle. Un album "mature", si on le compare à J'ai Brodé Mon Cœur, son précédent album solo dont les textes s’adressaient à un public plus jeune. Mais tout comme son prédécesseur, cette nouvelle réalisation est empreinte d’universalité, puisqu’à travers ses ritournelles folk, l’artiste touche à des thématiques qui résonnent chez chacun.  

L'introduction Rue Beaurivage promet déjà de beaux moments où la mélancolie va nous envelopper. La chanson Tu veux rester, avec sa basse imposante et ses mélodies délicates, évoque la difficulté de quitter ses racines pour l’inconnu, lorsque l’âge ne permet plus de rester chez soi "Les cèdres ont grandi, les enfants partis, mais tu veux rester. Comme son comparse Jean-François Pauzé, Marie-Annick fait preuve d’une empathie qui met des mots sur ces petits drames du quotidien que nos stupides rythmes de vie effrénés ne nous permettent plus de voir. L’artiste prend le temps, fait corps avec son environnement, et crée ainsi une musique inspirée et bienveillante, à mettre entre toutes les oreilles tellement ses musiques peuvent être une parenthèse dans cette vie pesante. Le monde est beau pis laid, titre folk entraînant au refrain imparable, témoigne de cette cohabitation de sentiments qui, loin d’être contradictoires, sont au contraire parfaitement complémentaires. J'ai aussi un joli petit faible pour l'entrainant morceau Les cheveux gras. Envie de taper du pieds sur le plancher et de faire rougir mes mains. Ou de me laisser bercer avec le triste Toujours partir le coeur un peu chagrin mais qui bat la mesure quand même, pis me raconter des envies, des rêves avec l'instrumental et dernier morceau enivrant Boulevard de L'Ange-Gardien où les violons poussent à prendre un nouvel envol vers quelque chose qui ressemble au bonheur. L’amour aussi, bien sûr, est une constituante essentielle de l’album. Comme sur les morceaux qu’elle interprète parfois (et trop rarement) seule sur les albums des Cowboys, Marie-Annick l’évoque à travers l’absence, à travers les regrets et les rendez-vous manqués. Le nuancier est vaste, et le bonheur ne va jamais sans tristesse, tout comme la musique de l’artiste porte en elle des émotions bariolées, mais on est tellement bien dans cette petite maison pleine de vie.


Tracklist
01 - Rue Beaurivage
02 - Tu veux rester
03 - Quand les outardes reviennent
04 - Le monde est beau pis laid
05 - Le bonheur est à chacun
06 - Elle s'en va
07 - Les cheveux gras
08 - L'autre trottoir
09 - A toi le grand héron
10 - Je mange mes bas
11 - Toujours partir
12 - Boulevard de L'Ange-Gardien

03 décembre 2021
La Tribu

www.marieannicklepine.com

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