Hubert-Félix Thiéfaine - Météo für nada (1986)

La pluie claquait sur les vitres de la vieille Citroën. J'étais assis sur le siège passager, les yeux rivés sur la route trempée. L'album Météo für nada tournait en boucle dans le lecteur cassette. Hubert-Félix Thiéfaine chantait sa poésie sombre, ses mots comme des flashs lumineux dans la nuit. Dies olé sparadrap Joey résonnait dans l'habitacle. Je me demandais qui était ce Joey, pourquoi il portait un sparadrap. Peut-être une blessure invisible, une cicatrice cachée derrière un sourire. La musique m'enveloppait, me transportait vers des contrées inconnues où la voix rauque du Jurassien m'entraînait plus loin. "Ta Zone chaude, môme" murmurait-il, je me voyais dans un bar enfumé, une serveuse aux yeux tristes me servant un verre de whisky. Des ombres dansaient au rythme des guitares, des histoires secrètes se dissimulaient dans chaque recoin. Une trompette s'élevait, m'arrachant à mes pensées : Précox ejaculator un titre aussi énigmatique que comique quand je repensais à tous mes orgasmes expéditifs ou était-ce une métaphore pour nos vies précipitées, nos désirs inassouvis ?  Je me laissais emporter, les mots de Thiéfaine comme des éclairs électriques dans le ciel gris de cette météo déchaînée. La pluie avait cessé en même temps que commençait l'invitation à l'errance dans les brumes de l'âme : Oh Sweet amanite phalloïde Queen ! On chantait à tue-tête comme possédés de ces échos lointains qui venaient résonner dans nos jeunes crânes beaucoup moins lourd que notre libido. Ça martelait comme les battements de batterie dans les plongées de cette folie poétique. J'entendais les pas d'Arthur Rimbaud résonner dans les couloirs de mon asile. La soif d'absolu, la gorge sèche, je commençais à comprendre l'importance des mots. La lumière du plafonnier qui clignotait et nos âmes perdues tournaient autour comme des papillons de nuit. Comme des fous, comme ces humains qui se tiennent debout sur leurs deux jambes, cherchant un équilibre fragile entre ciel et terre. Vérités crues, constats désabusés, jeunesse torturée, j'étais ce Bipède à station verticale perdu dans la jungle m'imaginant être ce philosophe cynique qu'était Diogène. Oh je te salue glaireux blaireau ! La boucle se refermait, Errer humanum est, pour le final, bouffée de chaleur, phallus au garde-à-vous de mes doutes et de mes espoirs, pour toujours toujours plus d'ivresse, encore, oh yes on the road again David, appuies sur le champignon et retournes la cassette !

30 ans plus tard, un dimanche matin qui s'est éloigné du chemin… dans la brume originelle, hors des temps… Je me réveille le cortex trop gorgé d’impossible, résultat de ces nuits-fantômes où les chimères quotidiennes et autres hallucinations politiques saturent mon être tout entier. Je flâne plutôt mollement dans ce matin hanté, tel le spectre de ma propre existence, spectateur nonchalant d’un vide hypnotique. Sous la chape nuageuse de cette vie, tout semble perdu, je me sens lointain et c'est magique. Je sors le disque de sa pochette, religieusement je le pose sur la platine. Les sons extérieurs deviennent distants, ils s'effacent, seul compte les mélodies qui enveloppent ce moment. Une guitare d'abord, suivit d'une batterie et HFT commence à chanter. Son écho languide voyage dans les volutes d'une infinie blancheur où mon âme nue est entièrement couverte par un linceul translucide. Dehors j'aimerais que ce soit le chaos, genre The Wakling Dead mais dans une version spirituelle et bienveillante, sans les monstres tout droit sortis des toiles torturées d'un Goya. Mais je trouve qu'on se rapproche plus des portraits de Francis Bacon. Je me fais un café et son amertume ne fera pas percer les contours de l’irréelle ambiance qui m’entoure. Je suis plongé dans un monde dessiné par tant de belles ombres avec ces chansons si poignantes. En plongeant systématiquement dans ce disque, je m’y ressource, je m’y abreuve. je prends tout ce que je peux, tout ce que je dois, avec recueillement, comme une expérience spirituelle. Et me voilà partir à divaguer au gré des mélodies enivrantes qui transpercent lentement l'atmosphère, la tête bourrée de ces vieux souvenirs que je n'arrive pas à effacer, mais aussi d'envies encore incertaines que j'aimerais vivre. Crâne en ébullition, pour l'abandon parfait, cet album est mon compagnon de route préféré.


Tracklist

01 - Dies Olé Sparadrap Joey
02 - Zone chaude, môme
03 - Precox ejaculator
04 - Narine narchande
05 - Affaire Rimbaud
06 - Bipède à station verticale
07 - Sweet amanite phalloïde Queen
08 - Diogène série 87
09 - Errer humanum est

01 novembre 1986
Sony music

www.thiefaine.com

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