Nesles - Barocco

Avec Barocco, son nouvel album qui vient tout juste de sortir, Nesles poursuit son p'tit chemin singulier dans la chanson française, à l’écart des modes en suivant les failles humaines. Un disque dense, vibrant, profondément incarné, qui impressionne par sa cohérence et sa puissance émotionnelle au sens poétique : orfèvre du mot et sculpteur de mélodies, il y poursuit sa quête de vérité artistique, loin des projecteurs, près du cœur.


Depuis quelques années, Nesles bâtit une œuvre à part, entre rock lettré et chanson d’auteur, nourrie d’un folk vif et d’un regard acéré sur le monde. Si ses précédents albums laissaient déjà entrevoir une voix forte et sans fard, Barocco (à la pochette magnifique) franchit un cap : celui de la maturité artistique, certes, mais surtout celui d’un dépouillement essentiel. Car sous ses atours parfois orchestraux, l’album est avant tout une exploration des zones grises de l’âme. Le titre, Barocco, doit faire référence à l’adjectif italien qui a donné naissance au mot baroque. À l’origine, le terme désignait quelque chose d’étrange, d’irrégulier, voire d’extravagant une beauté accidentée, hors des normes. Je trouve que c’est exactement ce que propose Nesles : une musique traversée de tensions, de courbes inattendues, de beautés fragiles. Entre lumière et obscurité, entre dépouillement et ornement, l’album cultive l’ambiguïté et la profondeur. À l’écoute, on pense toujours à Bashung, à Gérard Manset, à Dominique A dans ses heures les plus sombres. Mais Nesles ne s’inscrit pas dans une filiation mimétique. Il creuse sa propre tranchée, entre ballades sinueuses et montées minérales, porté par une voix grave, rugueuse, pleine de relief. D’une beauté accidentée, à la fois âpre et raffinée, il mêle le dépouillement de la chanson à l’os à l’intensité d’arrangements finement ciselés. Les textes, toujours très écrits, frappent par leur justesse dès la première écoute. Les suivantes, les sensations se multiplient quand on aime la langue française. C'est vraiment un chanteur important pour notre culture. Qu'on se le dise. On y croise des écrevisses, un cachalot, un bombyx, des panthères dans un bestiaire symbolique et sensoriel qui fait penser à Henri Michaux sous influence pop. Mais derrière les figures animales, ce sont les émotions humaines qui se dessinent : la nostalgie (1976, magnifique ritournelle en duo avec Dominique A), les naufrages du désir (Carquois - ce final est dantesque, superbe, sublime !), les luttes souterraines d’un corps en furie (Anatomie (Rien à foutre) illuminée par les chœurs de Blaubird et Gabriela Etoa). À chaque fois, Nesles avance à découvert, les mots chargés de lumières et de tendresse. Dans Beckett, morceau-manifeste d’un disque qui n’a rien d’un exercice de style, Nesles tranche dans sa propre matière comme l’auteur irlandais qui choisit le français pour s’approcher au plus près du squelette de l’œuvre. Recommence et répète comme Beckett... La voix est nue, toujours grave, sans apprêt. La langue, dense, percutante, cherche le mot juste sans jamais céder à l’ornement facile mais en s'enveloppant dans une orchestration électro-pop magnifiquement envahissante. C'est prenant et le résultat est bouleversant de sensations. Chaque chanson semble être pensée pour exister seule, portée par une guitare, avant de se voir enrichie de textures subtiles : les nappes éthérées d’un synthé modulaire, les harmonies vocales d’une comédienne (Juliette Plumecocq-Mech sur Agfa Chromes), une section rythmique aux inflexions cold wave. Car si Nesles chante en français, son ADN sonore vient d’ailleurs : Nick Drake, Joy Division ou le Velvet ne sont jamais bien loin. Et ça se respire. Comme dans ce genre d'univers, on sent dans ce disque un besoin vital de recommencer, non pour se répéter, mais pour mieux comprendre ce qui nous unit ou le contraire. De chanson en chanson, Nesles sculpte une œuvre intime, où s’effacent les frontières entre rêve et lucidité, entre l’animal et l’homme, entre l’aveu et la fable. Une musique pour temps troublés, exigeante et charnelle, capable de suspendre le tumulte. Donc hautement réussi. Avec ce nouveau disque qui marque l'année 2025 de son empreinte, Nesles ne cherche pas forcément la lumière des projecteurs mais à être juste avec lui-même, avec son univers. Et il l’est, magnifiquement. À ceux qui ne le connaissent pas encore, je leur souhaite une chose : découvrir ce disque comme on ouvrirait un carnet (merci !) de notes pour écrire son propre monde  à coups de Canon-fleur. Un monde poétique, vibrant, traversé d’éclats où même dans nos nuits sombres, quelque chose brille.


Tracklist
01 - Beckett
02 - 1976 (feat. Dominique A)
03 - Quelque chose brille
04 - Anatomie (Rien à foutre) (feat. BlauBird & Gabriela Etoa)
05 - Antilopes
06 - Canon-Fleur
07 - Panamerican (à Sarah Bernhardt)
08 - Blanche
09 - Agfa Chromes
10 - Carquois

30 mai 2025
Walden Musique


www.nesles.bandcamp.com
www.facebook.com/NESLES

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