Adieu Karl Tremblay

 Je suis dévasté.

On pouvait craindre le pire sans vouloir y penser. On voulait croire qu'on peut se préparer à ça, mais non, c'est un choc. Une tristesse immense m'a réveillé en ce petit matin du 16 novembre.

Quand la musique vient soigner les plaies de l'âme, les interprètes deviennent intimement proches dans nos cœurs. Karl en était un bel exemple, une voix dans ma vie qui savait si bien chanter les émotions. Toutes les émotions. Il interprétait avec honnêteté et justesse les mots de Jean-François, accompagné musicalement par Marie-Annick et Jérôme. L'humanité qui réchauffe le cœur que nous offre le groupe vient de subir un coup, un sale coup. Il était si jeune, quelle injustice. Comme dit Mano, si Dieu existe, alors qu'il change de boulot… C'est ce qui résonne dans ma tête pleine de tristesse et de colère. Mon humeur oscille entre hurler et pleurer. J'éprouve le besoin d'écrire ici, simplement pour soulager ces sentiments qui m'habitent. Un vrai besoin, comme j'avais besoin des Cowboys Fringants quand la vie devenait trop pesante pour mes épaules trop petites dans ce monde trop lourd. Hop, un petit coup dans les écouteurs, hop un petit concert et l'optimisme revenait au galop… Une fête face à la morosité.

J'ai envie d'écrire.

Écrire quoi ?
Je n'en sais strictement rien, mais j'ai cette envie pressante, peut-être pour faire face au vent d'hiver qui arrive. Alors je repense...

Je me souviens d'abord de ma première rencontre avec Les Cowboys Fringants, forcément. J'associe toujours mon année québécoise à une seconde naissance pour ce que j'y ai vécu et appris. Partir dans un environnement inconnu et totalement différent, ça vous change un homme. Je suis rentré en France transformé, façonné par l'album "La grand-messe" que j'avais ramené dans ma valise, faisant de moi l'adulte que je commençais à devenir, tardivement. Ils m'ont tellement transmis à travers leurs paroles, comme s'ils parlaient de ma vie, de notre vie à tous, comme si Karl me parlait, comme un ami chaleureux, comme un grand frère qu'on admire et qui nous prend sous son bras. Un pilier protecteur, bienveillant, drôle, tendre, naturel, fougueux, il avait tant de dons sans forcer la nature des choses. C'était simple, c'était vrai avec Karl le fringant, terriblement humain, étendard d'une troupe de belles âmes lumineuses.


Une nuit d'automne, le single radio "La Reine" aura été le déclic. Une nuit d'hiver plus tard, le concert à La Tulipe de Montréal prendra mon cœur définitivement. Les jours de printemps qui suivront s'occuperont du reste. Puis la vie qui continue son petit bout de chemin, les albums qui sortent, les expéditions pour traverser la France quand ils venaient par chez nous…

Les amours, les emmerdes, mes maigres convictions politiques, ma conscience écologique, les remises en question, mes doutes, les joies divers, les peines toujours, mon choix de venir vivre en Bretagne, ils étaient là au quotidien, musicalement m'accompagnant à trouver les voies, par cette voix. Cette grand voix si fédératrice, porteuse d'espoir et de mélancolie, d'amour et de fraternité, elle était puissante, inspirante.

C'est le chapitre d'une époque qui se referme derrière nous avec le départ de Karl, dans ce grand livre de la vie aux prochaines pages encore vierges. Mais que pouvons-nous écrire maintenant sans la lumière des Cowboys Fringants ? Dans cette obscurité, je repense à ces milliers de cœurs brandissant au bout d'un bras un briquet ou un téléphone pour éclairer d'espoir le présent et l'avenir sur "Les étoiles filantes". Je me retournais à chaque fois vers le public, et j'aimais profondément ces gens que je voyais, même sans les connaître. Dans la chaleur d'une salle de spectacle, nous formions une famille. Une grande famille avec le sentiment d’être tellement bien ensemble.


Du Québec en Bretagne, en passant par Bruxelles, Toulouse ou Lyon, tous les concerts que j'ai pu faire m’ont raconté la même histoire, une belle histoire et la joie indescriptible de retrouver les Cowboys Fringants sur scène à chaque fois. De les applaudir et de leur rendre tout l'amour qu'ils nous ont offert tout le long de ces belles années.

Je pleure le départ de Karl.
Triste pour ses proches intimes, ses compagnons de route, pour les fans si inspirés par le groupe.

Saloperie de maladie qui vient de me prendre l'une des figures de ce Québec que j'aime, qui me manque et que je ne reverrai sûrement plus jamais tel que je l'ai aimé.

Mais l'héritage artistique et émotionnel qu'il nous laisse est immense, autant que la tristesse du moment. Marie-Annick, JF et Jérôme sont toujours là, je sais que je vais sourire très vite, à nouveau, que les chansons sont éternelles et continueront de faire de moi un homme toujours un peu plus meilleur, en tout cas un peu moins con que les programmes télés, les algorithmes et les vidéos abrutissantes des réseaux veulent bien nous faire devenir. Ça fait toujours du bien de s'enfuir de ce merdier et d'écouter un des albums des Cowboys Fringants, même si c'est pour chialer.


À 19h30 ce jeudi 16 novembre 2023, je promenais Polly dans les rues désertes de Châteaubourg, les écouteurs sur les oreilles, en écoutant Les étoiles filantes version live au grand théâtre de Québec. Soudain, tout le quartier s'est retrouvé plongé dans l'obscurité, pendant seulement une-deux minutes. Ça m'a suffit pour lever les yeux au ciel et voir que, malgré le temps dégueulasse, pluvieux et nuageux du jour, il brillait de mille étoiles. Je ne crois pas tant que ça aux signes, c'était simplement un hasard, mais un beau hasard pour finir cette triste journée.

Tu t'es éteint, mais ta voix résonnera pour toujours dans mon cœur dont le cordon ne sera jamais coupé. Merci d'avoir été celui que tu étais. Merci à la vie de m'avoir mis sur la route des Cowboys Fringants. Merci pour ce bonheur.
Je t'aime Karl.

Commentaires

  1. Un bel hommage écrit avec les tripes.
    Les Cowboys Fringants, je les ai découverts par mon ex via Les étoiles filantes qui figuraient sur la première compil qu'il m'avait faite. Puis je les ai redécouverts avec toi.
    Je les ai vus pour la première fois en concert en 2008.Je ne connaissais pas encore trop leur répertoire et j'ai eu du mal à comprendre les paroles. Puis, après avoir acheté entre temps La Grand messe; il y a eu en novembre 2009 le Zénith de Lille, où j'ai pu apprécier tellement. Un des meilleurs concerts de ma vie.
    Lorsque nous sommes allés les voir ensemble en 2017 à Lyon, ni toi ni moi n'aurions pu imaginer que c'était la dernière fois qu'on les voyait... Grande tristesse moi aussi.

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  2. Tellement triste, j'ai pensée de suite à toi en apprenant la nouvelle. Je me souviens à quel point leur philosophie de vie t'a beaucoup aidé.
    Toulouse que de souvenirs ! Ce sera mon unique concert mais lun de plus beaux de ma vie aurélie aussi. Bizoux Karl ❤️

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