Damien Saez - Apocalypse (2025)

Apocalypse est ce qu'il semblait être comme promis avant sa sortie : une alchimiste de mots, de sons, et d’émotions humaines. Cet opus déploie une mosaïque musicale où chaque morceau est une fresque apocalyptique, un miroir brisé révélant mille reflets de nos âmes contemporaines. On le sait, Saez ne compose pas, il érige des pièces sonores dressées dans les ruines fumantes de notre théâtre actuel pour le bonheur de ceux qui gardent les yeux ouverts.

Dès les premières mesures de Arizona Baby, le morceau instrumental m’empoigne par la nuque et me pousse à regarder droit dans le gouffre pour mieux faire battre mon cœur en quête de révolte, de douleur, et de transcendance dans un manifeste lyrique où chaque note suinte la rage et la beauté, l’extase et la cendre. Authentique. La voix de Saez qui entre en scène sur La route s'élève avec la gravité d’un prophète ivre, un Rimbaud moderne errant sur les cendres de Babylone. Il ne chante pas : il exhorte, il déchire, il offre ses douleurs et ses espoirs pour que le monde s’y reconnaisse. Fêlé comme le verre après l’amour, parfois rugueux comme le cri de la terre meurtrie, parfois mélodieux comme une berceuse pour une humanité désespérée, le chant s'entrelace aux mots qui percent et bouleversent. C’est une poésie dénudée, qui se consume comme des braises, illuminant les ténèbres. on est trop beaux pour ce monde là… Neuf minutes d'extase où la voix de Ana Moreau apporte une luminosité brûlante et brillante… Puissance ! Les thèmes abordés par l’artiste – amour, politique, écologie, humanité au bord du gouffre – résonnent toujours comme des prophéties modernes, déchirantes, et irrésistiblement humaines. J'explose littéralement avec Anticommunautaire et son riff hommage à la béru, morceau contestataire, brûlot violent contre toutes formes de communautarisme, ce fléau qui nous fait tomber dans des bien-pensées imposées,  pour mieux moins réfléchir par soi-même. Chose qu'une majorité ne savent plus faire. T’es qu'un produit préfabriqué / Qui a la plume d'une école primaire / Tu es qu'une salope qui a trop sucé / Y a plus que du sperme dans tes artères… Un délice, volume a fond dans le casque, j'observe les figurants de mon quotidien qui défilent sous mes yeux, qui semblent danser comme un cadavre qui se balance au bout d'une corde au son des chants révolutionnaires de Saez. Il ne mâche pas ses mots quand il s’agit de dénoncer les dérives du capitalisme, la misère, l’hypocrisie des élites, ou encore les injustices sociales. J'aime quand les guitares grondent (Le requin) comme des orages contenus (Oppression), quand les nappes électroniques tissent des ciels de plomb, et les mots—ah, les mots !— qui coulent en fleuves de fièvre. On y croise des révoltes tues, on se retrouve entre âmes perdues, on écoute les amours crucifiées sur des drapeaux en berne. Mais il y a aussi une beauté dans ce désespoir (L'étoile), une volonté de transcender la laideur du monde par l’art. Damien Saez, le verbe excessif ne compose pas, il exorcise notre rage, notre besoin de (sur)vivre. Chaque morceau est une lettre d’amour à la liberté, une gifle à l’indifférence, une étreinte à toute forme de beauté qui se meurt. Apocalypse est à l'apogée de mes sentiments les plus forts. Les croix qu'on porte les croix qu'on fait, tous les coups qu'on prend dans la gueule / On est tout seul on rêve tout seul on pleure tout seul on meurt tout seul / Quel est le chemin pour le paradis que je prenne l'opposé pour l'enfer / Après la vie y a que la nuit moi je suis addict qu'à ta lumière... Un cri incandescent dans le silence du monde pour répondre à écho au titre suivant L'Humanité à ressentir jusqu’aux entrailles, dans ce monde de fous. Chaque note, chaque silence, chaque souffle semble construit pour nous emmener ailleurs, pour nous plonger dans une apocalypse qui, paradoxalement, fait renaître l’espoir. Damien Saez transforme l’effondrement en un acte sublime et poétique. Même si, désabusé par tout ce que je vois, par tout ce que j'entends, j'ai parfois l'impression que ce qu'il chante n'est plus qu’une vulgaire utopie pis le poète s’embrase et m’entraîne une nouvelle fois dans son incendie. C’est un requiem pour les vivants, je me sens vivant à l'écouter, un oratorio pour les insoumis, je me sens moins seul en l'écoutant. Il y a du Goya dans ses visions, du Camus dans ses cris, du blues dans son sang. 28 titres, j'en perds la tête, il me faudrait plusieurs mois pour ressentir le moindre morceau dans son ultime détail mais outre les titres qui me frappent le cœur et qui sont mentionnés dans cette chronique, j'en sors lessivé, bouleversé (Si tu t'en vas… mon dieu que c'est beau), illuminé. Il y a énormément d'amour dans ce disque, parce que c'est peut-être ça qui nous permet encore de tenir debout. Qu'il fasse mal ou qu'il nous élève dans les cieux, souvent blessant, mélancolique, désabusant, il y a chez Saez ce romantisme tragique qui ne laisse pas insensible, presque gothique, teinté de solitude et d’ivresse. Je n'ai pas peur de mourir, Nouveau printemps, Mon influenceuse, Aimer c'est se battre pour perdre, Si l'amour était universel... Plus je l'écoute, plus je le découvre, plus je le trouve grandiose, magistral, éblouissant ! Et je sais qu'il n'a pas fini de me surprendre. C'est un disque-miroir où chacun à le choix : de le briser ou y plonger jusqu’à s’y retrouver - pour le meilleur, dans le pire des mondes. Et si la fin approche, je veux brûler entouré de gens qui pleurent ou qui hurlent, en écoutant ce nouveau chef-d’œuvre.


Tracklist
Acte 1
01 - Arizona Baby (feat. Ana Moreau)  
02 - La Route (feat. Ana Moreau)  
03 - Jessie  
04 - Je n'ai pas peur de mourir (feat. Ana Moreau)  
05 - Oppression  
06 - L'Étoile 

Acte 2
07 - Anticommunautaire  
08 - Le Requin  
09 - Barbie  
10 - Nana  
11 - Lindsay (feat. Ana Moreau) 

Acte 3
12 - Apocalypse  
13 - L'Humanité  
14 - Apocalypse Baby (feat. Ana Moreau)  
15 - Chanteur Démodé  
16 - Comme une bougie dans le vent 
17 - Nouveau printemps (feat. Ana Moreau)

Acte 4
18 - C'est toi
19 - Ma meuf à moi  
20 - Mon Influenceuse  
21 - Fleur Irannienne

Acte 5 
22 - Si tu t'en vas (feat. Ana Moreau)
23 - Venise (feat. Ana Moreau)
24 - Aimer c'est se battre pour perdre 
25 - S.O.S.  
26 - Frères d'Armes (feat. Ana Moreau)  
27 - Thème Frères d'Armes
28 - Si l'amour était universel

28 mars 2025
16.ART et Wagram Music


www.facebook.com/damiensaez
www.culturecontreculture.fr

Commentaires

  1. Anonyme9/4/25

    Excellente chronique encore une fois ! La lecture aide vraiment à saisir l'essence de l'album. C’est une analyse pertinente et bien écrite, merci pour ce beau partage Tony

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