Fraxion + Betsch - Hiatus indéfini (2025)

Ce n'est pas forcément le printemps - quoique c'est vrai qu'il vaut mieux passer son temps dehors que devant le pc à écrire des chroniques sur un blog - mais quelque chose fait que je n'arrive plus à avoir envie de quoi que ce soit en ce moment. Un passage entre deux saisons à négocier probablement. J'attends, j'écoute mon corps, je reprends cœur. J'ai bien deux-trois albums dans la sacoche qui me plaisent beaucoup, faut juste retrouver la motivation qui traîne quelque part.
Puis y a des invitations qui tombent du ciel sans prévenir. Ça à beau me gonfler, mais y a parfois des trucs incroyablement chouette sur Facebook : dernièrement, Bertrand Betsch poste une photo qui annonce la sortie d'un énième album. Habemus BBam !

Illico presto je sais quoi faire. Je sais l'importance d'abandonner ce que l'on fait pour consacrer son temps à une œuvre de Bertrand Betsch. Enfin moi je sais. La musique comme un besoin. Et puis il annonce que dans cet album - Hiatus indéfini - il va mettre en musique des poèmes de Heptanes Fraxion que lui-même interprétera. Ce mec me retourne, du moins ses écrits. Tout comme la plume de BB. C'est important les plumes pour voler. Ces artistes font parti de ce voilage qui recouvre mes ailes. Moi j'écris des poèmes et des trucs par-ci par-là, ça fait du bien mais qu'est-ce que ça fait encore plus de bien quand une nouvelle encre vient envahir mes veines. Je pose le casque sur les oreilles et ça commence comme un souffle dans la gorge d’un pendu : un petit vent sec, râpeux, à peine sorti des cordes. Hiatus débute. Le genre de soupir qu’on pousse quand on sait qu’on va tout casser. Et putain, ils cassent tout, Bertrand et Heptanes. Ils prennent les morceaux, les recollent à l’envers, puis ils les mangent. L’album s’appelle Hiatus indéfini : rien que le titre donne envie de rester enfermé dans une pièce moite avec des papiers peints qui pleurent. C’est un disque de travers qui remet l'auditeur sur les bons rails. Une poignée de chansons tombées du trottoir, ramassées à la pince à épiler. l'un fait les mélodies comme on panse une plaie, l'autre glisse les mots dans la blessure. Ça parle de rien, donc forcément de tout : le vide, l’attente, la routine qui bouffe, les sentiments qui rongent (magnifique La mort le sexe) les petits éclats de grâce, la vie quoi ! qui suinte le spleen beau et la joie boiteuse, c’est rapidement précieux, ça gratte où ça pense et j'aime découvrir l'album, titre après titre. Claque après claque. Wow après wow. Heu, wow mais wow quoi !!

D’un côté, Bertrand Betsch, le délicat mélancolique, artisan de la mélodie sinistrée qui essore l'âme. De l’autre, Heptanes Fraxion, le magnétique conteur, le révolutionnaire du haïku cogné, sorte de Bukowski à la gauloise. Ensemble, ils tricotent un univers sonore où les motifs sont comme des statues divines aux bras cassés, comme le regard des amours épuisés, et comme des vérités qui pique comme un clou rouillé planté dans le talon de la chanson française. D'ailleurs - et c'est incroyablement beau à entendre - on se rapproche plus du bon rock noise cru, celui qui gratte, qui mord et qui prend aux tripes, qui me donne envie de me perdre dans les rues du Havre en plein hiver (?) Pour ça, faut toujours compter sur BB qui sait nous surprendre album après album. On ne vit pas, on meuble balance la voix comme un mégot qui crépite et c’est beau comme une gifle donnée avec tendresse. Chaque morceau est une petite scène de crime poétique. J'y croise des cauchemars, des plaies, des tortures pour sado-maso qui ne veut plus sortir de l'album. Heptanes Fraxion est un poète à la dynamite sèche, armé d’un humour noir et d’une incroyablement lucidité rageuse. Dans ses recueils il taille dans le réel en observant le monde par le petit bout de la lorgnette, traque l’absurde, le sordide, le grotesque et en fait de l’art brut, à l'image de la société, de l'époque. À la croisée du punk et de la poésie minimaliste, ça dérange et ça libère à la fois. Heptanes Fraxion, c’est trois vers pour dire le chaos en nous donnant une tape dans le dos pour créer l'étincelle. L'explosion s'en suit.

J'adore l'association de ces deux-là : il y a dans Hiatus indéfini de la tendresse pour les âmes cabossées, ils ont le même goût pour le verbe qui claque et le détail qui saigne. C’est un album qui fait aimer la musique et la poésie en même temps, je l’écoute, encore et encore, ce hiatus qui ne finit pas vraiment, même quand la musique s'arrête. Je m’y perds, j'y reviens, je m'y perds, j'y reviens, je ne sais pas trop où je suis et je ne saisi pas vraiment encore ce que je ressens c'est trop fort, trop gros pour attraper tout ça en plein vol. Si je m'y risque c'est le crash assuré... Mais j'ai peut-être bien envie d'accepter cette invitation à me faire retourner dans tous les sens. C’est ça un chef-d'œuvre et bordel qu'est-ce qu'il est bon !


Tracklist
01 - Hiatus
02 - La mort, le sexe
03 - Toi
04 - Poussière ou pollen
05 - Il n'y a plus de monstres
06 - Mardi matin méthane
07 - Un allez simple
08 - Fraxion

16 mai 2025
Microcultures Records


www.facebook.com/heptanes.fraxion
www.facebook.com/bertrandbetsch
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