Septembre Ardent (2025)

Par analogie, disséquer un album peut revenir à lire un texte littéraire ou philosophique avec attention. On se penche sur le langage, ses figures, ses silences, ses ellipses, ses mouvements. La complexité d’un texte tient à la complexité de son langage, mais encore faut-il savoir en maîtriser l’usage. Un bouquin de Camus n’a rien à voir avec un roman de Levy : il ne s’agit pas seulement d’empiler des mots, mais de leur donner une portée, une chair. La musique fonctionne de la même manière. Surtout ici. 


Avec Septembre Ardent, on se rapproche davantage de Camus ou de Faulkner que d’un récit balisé. Ici, les voix, les instruments, les langues (français et arabe) se superposent comme des flux de conscience. La rumeur, thème central de l’album, devient un personnage à part entière : elle circule, se tord, s’infiltre dans le texte sonore comme une phrase interminable où chaque respiration est déjà une bifurcation. On ne sait plus toujours qui parle, mais l’essentiel n’est pas là : ce qui compte pour moi, c’est l’expérience de l’écoute, comme un courant qui m'emporte. Dès l’ouverture, l’album me percute. L’introduction est dense, presque suffocante : une voix qui tonne, des nappes électroniques et acoustiques qui se superposent comme des coups de pinceau rageurs. Mais, à peine cette tension installée, voilà que le disque s’allège soudainement, laissant place à une fragilité inattendue. C’est là le véritable tour de force de Septembre Ardent : ne jamais s’installer dans une seule tonalité, mais prendre l’auditeur à revers. La musique cogne, puis se retire pour caresser. Elle me jette dans la violence d’un tumulte collectif, puis me console dans l’intime d’un murmure. Cette oscillation constante rappelle la construction d’un grand roman : après la tempête vient l’accalmie, et après l’accalmie… la tempête reprend. Certains morceaux plus déconstruits et donc plus libres, fonctionnent comme des cadavres exquis sonores. Fragments de clarinette, éclats de voix, pulsations électroniques se succèdent et se répondent sans jamais chercher à clore le propos. Comme un train de pensée qui ne cesse de bifurquer, l’album juxtapose les consciences : celle de Nosfell, celle de Donia Berriri, celles des instruments de Valentin Mussou et Jean-Brice Godet, qui finissent par ne former qu’un seul flux. C'est par ce refus de la linéarité que réside la beauté de ce disque. Rien n'est frontale, la narration est souterraine et passe par les contrastes, les ruptures et les échos. La musique elle, est un langage. Et Septembre Ardent le rappelle sans cesse : du premier au douzième, chaque morceau est un dialogue, une conversation qui cherche à bâtir quelque chose de plus grand. Les titres ne s’imposent pas l’un à l’autre, ils s’écoutent, se coupent, se prolongent, se traduisent, s'analysent pour mieux les comprendre, comprendre l'état d'écoute dans lequel je suis. Les instruments, eux aussi, participent à ce débat mouvant, tantôt contradictoire, tantôt fusionnel. Je me perdre dans une œuvre sonore complexe mais riche, imprévisiblement belle. Comme un grand roman classique où les phrases s’étirent, s’enchevêtrent, bifurquent, l’album propose un langage nouveau, exigeant mais profondément habité. Je crois que c’est une œuvre qui bouscule les traditions, je sais par contre qu'elle donne envie d’y revenir, encore et encore. Bravo et merci pour cette expérience auditive, cette odyssée ardente !

Tracklist
01 - Mirage  
02 - Procession  
03 - Ici le sable  
04 - L’abondance  
05 - Un jour sec  
06 - Les remparts  
07 - Incendie  
08 - Le bruit  
09 - Illégale
10 - D'où je viens
11 - Le départ
12 - Dis-moi

05 septembre 2025
LPLP Rec.


www.lplprec.bandcamp.com/album/septembre-ardent

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