Par analogie, disséquer un album peut revenir à lire un texte littéraire ou philosophique avec attention. On se penche sur le langage, ses figures, ses silences, ses ellipses, ses mouvements. La complexité d’un texte tient à la complexité de son langage, mais encore faut-il savoir en maîtriser l’usage. Un bouquin de Camus n’a rien à voir avec un roman de Levy : il ne s’agit pas seulement d’empiler des mots, mais de leur donner une portée, une chair. La musique fonctionne de la même manière. Surtout ici.
Avec Septembre Ardent, on se rapproche davantage de Camus ou de Faulkner que d’un récit balisé. Ici, les voix, les instruments, les langues (français et arabe) se superposent comme des flux de conscience. La rumeur, thème central de l’album, devient un personnage à part entière : elle circule, se tord, s’infiltre dans le texte sonore comme une phrase interminable où chaque respiration est déjà une bifurcation. On ne sait plus toujours qui parle, mais l’essentiel n’est pas là : ce qui compte pour moi, c’est l’expérience de l’écoute, comme un courant qui m'emporte. Dès l’ouverture, l’album me percute. L’introduction est dense, presque suffocante : une voix qui tonne, des nappes électroniques et acoustiques qui se superposent comme des coups de pinceau rageurs. Mais, à peine cette tension installée, voilà que le disque s’allège soudainement, laissant place à une fragilité inattendue. C’est là le véritable tour de force de Septembre Ardent : ne jamais s’installer dans une seule tonalité, mais prendre l’auditeur à revers. La musique cogne, puis se retire pour caresser. Elle me jette dans la violence d’un tumulte collectif, puis me console dans l’intime d’un murmure. Cette oscillation constante rappelle la construction d’un grand roman : après la tempête vient l’accalmie, et après l’accalmie… la tempête reprend. Certains morceaux plus déconstruits et donc plus libres, fonctionnent comme des cadavres exquis sonores. Fragments de clarinette, éclats de voix, pulsations électroniques se succèdent et se répondent sans jamais chercher à clore le propos. Comme un train de pensée qui ne cesse de bifurquer, l’album juxtapose les consciences : celle de Nosfell, celle de Donia Berriri, celles des instruments de Valentin Mussou et Jean-Brice Godet, qui finissent par ne former qu’un seul flux. C'est par ce refus de la linéarité que réside la beauté de ce disque. Rien n'est frontale, la narration est souterraine et passe par les contrastes, les ruptures et les échos. La musique elle, est un langage. Et Septembre Ardent le rappelle sans cesse : du premier au douzième, chaque morceau est un dialogue, une conversation qui cherche à bâtir quelque chose de plus grand. Les titres ne s’imposent pas l’un à l’autre, ils s’écoutent, se coupent, se prolongent, se traduisent, s'analysent pour mieux les comprendre, comprendre l'état d'écoute dans lequel je suis. Les instruments, eux aussi, participent à ce débat mouvant, tantôt contradictoire, tantôt fusionnel. Je me perdre dans une œuvre sonore complexe mais riche, imprévisiblement belle. Comme un grand roman classique où les phrases s’étirent, s’enchevêtrent, bifurquent, l’album propose un langage nouveau, exigeant mais profondément habité. Je crois que c’est une œuvre qui bouscule les traditions, je sais par contre qu'elle donne envie d’y revenir, encore et encore. Bravo et merci pour cette expérience auditive, cette odyssée ardente !
Tracklist 01 - Mirage 02 - Procession 03 - Ici le sable 04 - L’abondance 05 - Un jour sec 06 - Les remparts 07 - Incendie 08 - Le bruit 09 - Illégale 10 - D'où je viens 11 - Le départ 12 - Dis-moi
Parce que c'est la plus belle chanson française de tous les temps ? Je crois qu'il n’y a aucune autre chanson qui me serre autant le cœur que Le temps qui reste de Serge Reggiani sur un texte de Jean-Loup Dabadie et une très belle musique d'Alain Goraguer. Je ne l’ai pas choisie parce que la voix fatiguée de son interprète me rappelle celle d'un grand-père que j'aurais aimé connaître, avec qui j'aurais pu découvrir la vie. Je ne l’ai pas non plus choisie parce que choisir Serge Reggiani, c’est choisir l'un des moyens le plus sûr pour éviter les jets de pierres des pédants du monde de la musique. Je l’ai choisie parce que, pour moi, c’est la plus belle chanson française de tous les temps. Et si quelqu’un venait à dire que ce n’est pas le cas, je le prendrais personnellement. C'est une de ces chansons que l’on ne découvre pas par hasard. Pour moi, et comme pour beaucoup de gens j'imagine, c'est par le film Deux jours à tuer avec Albert Dupontel qu...
Depuis quelques jours, je vois passer beaucoup d’éloges sur ce fameux disque bleu. J’aime bien Benjamin Biolay, sans en être un fan inconditionnel : quelques titres par-ci, par-là… En ouvrant ce matin mon application indispensable, Deezer, et suivant l’enthousiasme ambiant, j’ai décidé de me lancer, toute ouïe. Et paf, ni une ni deux, le premier titre, Le Penseur , commence par du violoncelle. Éperdument amoureux de cet instrument sensuel et tellement expressif, j’explose d’admiration et cela me suffit. Même s’il s’efface progressivement, laissant place à une mélodie céleste où guitare, flûte et saxo dansent dans l’espace, ce violoncelle introductif reste un véritable terrain d’envol pour mon âme. Ce premier titre m’emporte et me retient dans ce bleu comme l’horizon. C’est une promesse : celle du ciel, celle de la mer, celle des fresques colorées d’Amérique latine qui rendent la vie un peu plus heureuse. À travers ce bleu, Biolay semble vouloir ouvrir une fenêtre sur lui, sur nous, sur...
Apocalypse est ce qu'il semblait être comme promis avant sa sortie : une alchimiste de mots, de sons, et d’émotions humaines. Cet opus déploie une mosaïque musicale où chaque morceau est une fresque apocalyptique, un miroir brisé révélant mille reflets de nos âmes contemporaines. On le sait, Saez ne compose pas, il érige des pièces sonores dressées dans les ruines fumantes de notre théâtre actuel pour le bonheur de ceux qui gardent les yeux ouverts. Dès les premières mesures de Arizona Baby , le morceau instrumental m’empoigne par la nuque et me pousse à regarder droit dans le gouffre pour mieux faire battre mon cœur en quête de révolte, de douleur, et de transcendance dans un manifeste lyrique où chaque note suinte la rage et la beauté, l’extase et la cendre. Authentique. La voix de Saez qui entre en scène sur La route s'élève avec la gravité d’un prophète ivre, un Rimbaud moderne errant sur les cendres de Babylone. Il ne chante pas : il exhorte, il déchire, il offre ses doul...
Il est des albums qui ne se contentent pas d’être écoutés, mais qui se vivent, qui se respirent, qui s’infusent lentement dans les veines comme un élixir de mélancolie et d’évasion. Caravane de Raphaël en fait partie. Paru en 2005, cet album n’est pas seulement un tournant dans la carrière du chanteur : il est un cri du cœur, un souffle incandescent, un voyage où chaque chanson est une halte sous un ciel chargé malgré la présence d'un soleil éclatant quand je l'écoute. Dès les premières notes de Caravane , la chanson-totem qui donne son nom à l’album, on sent le vent de la liberté caresser la peau. La guitare acoustique vibre comme une route sans fin, la voix de Raphaël oscille entre fragilité et ferveur, tandis que les paroles dessinent un horizon mouvant, où l’amour et l’errance s’entrelacent comme les fils d’un destin incertain. Puis viennent les joyaux de ce chef-d'œuvre intemporel de disque : Ne partons pas fâchés , où l’urgence du départ se mêle à une douceur déchiran...
Je suis un homme ordinaire, mais quand arrive cette chanson (jamais par hasard) je suis tout sauf commun. Je crois que mon visage s'illumine de cette lueur musicale, une lumière qui ne vient pas du soleil, mais d’une voix qui m’enveloppe, celle de Jacques Higelin . Tombé du ciel s’élève comme un souffle dans l’air. Les premières notes s’immiscent sous ma peau, et tout ce qui pèsent sur les épaules disparaît, s’évapore comme une brume matinale. Parfois je ferme les yeux, laissant la mélodie se mêler à la danse du vent. Parfois je regarde les étoiles s'il fait nuit. Je regarde vers les cieux dès fois que… un chanteur de charme ou un pot d’fleurs… Les mots, ces mots, s’accrochent au cœur comme un poème ancien que j'aurais toujours connu sans jamais l’avoir appris. La gravité s’éloigne, comme si Higelin me tendait la main pour m’arracher au sol. Je ne suis plus assis, je plane. Amoureux. Les souvenirs, les regrets, les doutes, les erreurs, les chagrins s’effacent, balayés par ...
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