Arman Méliès - Ambrosia (2025)

Au creux de l'actualité anxiogène, la poésie doit s'installer. C'est une urgence. De manière mécanique, la musique est faite pour remplir l'espace. Les mélodies sont faites pour faire aimer cet espace, aussi vite qu'elles s'y installent. Le caractère évanescent du son est ce qui rend la musique si belle. La musique n'est vivante que lorsqu'on décide de la jouer, elle est éphémère, elle est refuge, elle est vie. Tout respire, tout n'est que frisson qui attend. Le travail du musicien est de remplir cet espace de toutes les manières possibles, et Arman Méliès le remplit merveilleusement bien.

Ambrosia, dixième album d'Arman Méliès est un disque qui vibre dans mon interstice fragile, mon refuge incertain entre camisole musicale et monde extérieur. Peu d'artistes parviennent réellement à magnifier la poésie. Dans Ambrosia, elle est ce fil conducteur qui donne cette force invisible pour porter la musique et lui donner son plus bel éclat. Dès le premier titre Le Soleil en Soi, une voix dessine ce moment. Une voix habitée par une forme de mystère et de grandeur. Elle m'invite, chaude, grave, dans cet instant suspendu où n'importe quel sentiment peut éclore rapidement. Durant ces cinq premières minutes, rien d'autre n'existe véritablement, ce soleil est en moi et je n'ai qu'une envie : brûler intérieurement. C'est une promesse, depuis que j'ai découvert l'auteur de Laurel Canyon. Celle de brûler de vie, d'amour, de passions, constamment, pour cette poésie aussi fascinante que troublante. Musicalement, Arman Méliès sculpte le son, le laisse respirer, lui permet d’exister pleinement en harmonie avec les mots, et ainsi, il nous donne à entendre l’écho de quelque chose de plus grand que nous. Cinq premières minutes si puissantes qui me donne l'inquiétude de poursuivre l'écoute de peur de faire un infarctus de bonheur. Mais comment résister à ce périple musical où la mélancolie s’entremêle à l’extase, où chaque note semble surgir d’une émotion inconnue ? Réponse dans Requiem pour un Pou. Je veux bien crever pour ce bonheur qui lutte sans cesse pour trouver sa place dans ce monde malade. Cette attirante envie d’ailleurs, gouffres aspirants, effrayants vertiges d’une profondeur infinie où la musique d’Arman Méliès tourbillonne entre nos synapses, nous aspirant vers des abysses mystérieuses. Feu froid, cendres chaudes, lumières crépusculaires… Ambrosia est un voyage en clair-obscur, une traversée sensorielle où les paysages sonores se fondent dans une poésie minérale. Rien n’a d’importance si ce n’est le chemin à parcourir en lui-même, chaque note, chaque souffle devenant une invitation à franchir un seuil invisible pour mettre en perspective nos résonances intimes, celles qui hantent nos nuits, celles qui semblent inaltérables. Comme un Ulysse moderne dérivant entre éclats synthétiques et échos célestes, Méliès nous offre un ailleurs où les gouffres deviennent des voies, où les ombres se teintent de lumières. Ainsi se dévoile Ambrosia, album hypnotique et magnétique, une odyssée intérieure qui s’affranchit des frontières du réel pour mieux nous envoûter. Arman Méliès me fascine autant qu’il me désoriente, réinventant sans cesse son univers sans jamais trahir son essence. Il revient à l'essentiel, voix en avant, cœur en dedans, plus j'écoute l'album moins j'arrive à m'extraire de ce tourbillon d'émotions.

De son ouverture ardente avec Le Soleil en Soi à sa conclusion en apesanteur dans le prenant Serre, Ambrosia se déploie avec une urgence poétique, où l’énergie brute côtoie une finesse mélodique saisissante. Chaque morceau s’enchaîne avec une fluidité qui renforce l’impression d’un voyage immobile dont on ne ressort pas indemne. À mesure des écoutes, se dévoile la richesse de ses contrastes, la profondeur de ses résonances, la beauté de sa poésie. L'instant est éphémère comme une fleur de nuit, insaisissable comme un rêve, une méditation sur le temps qui passe, sur la beauté fragile du moment présent. Dans la concision d'une écriture en demi-teinte, je me retrouve comme l'auteur le souhaite : Dans la suggestion plutôt que l'évidence, mon imaginaire s'occupe du reste. Sous les Siècles, Ambrosia, c'est un retour à l'épure. La voix y est mise en avant, portée par une instrumentation qui oscille entre minimalisme et textures aériennes. J'ai le cœur qui tangue par cette voix, tantôt incantatoire, tantôt spectrale qui se fond dans cette architecture sonore comme une brume mouvante, me guidant à travers une expédition où chaque titre semble une porte ouverte vers un ailleurs énigmatique. Quelques Kilos de Soleil, on ne peut pas prétendre aimer la poésie tant qu'on a pas écouté cette chanson et rien ne remplacera jamais l'émotion de la première écoute, je me rappelle... Les titres s'enchainent, Belle de Nuit, je chante, je rêve, j'écris, j'aime, je respire...  La nuit s'installe, belle et profonde, quand jaillit d'un cœur une symphonie d'une beauté sans nom. Les étoiles scintillent dans l'abîme nocturne, sous la lune, je prends mon élan. La vie prend racine dans ce silence sacré, yeux embués, rêveurs, face à l'infini, elle m’effleure, douce et éphémère, le bonheur s'approche, délices, je me faufile dans cet explosion étoilée, mes paupières closes, au bord de l'implosion, le bonheur surgit de son souffle léger. Puis, sans bruit, la vie s'enfuit, évanescente. Droit au cœur. Dans la nuit dense de Casanegra, les ombres dansent et s’effacent, errances électriques sous un ciel d'étoiles. Un souffle chaud traverse l’asphalte, et le vertige du monde s’écrit en pointillés jusqu'à ce que Serre bruisse comme un jardin de verre, où la liberté d'aimer la vie se défait des lianes de l'actualité. Là où la poésie embrase la mélodie, où l’invisible prend corps, mon cœur explose sous la rosée du silence qui s'installe après la conclusion instrumentale d'un Religare 2 exceptionnellement touchant. Dans Ambrosia, quand les dernières notes s’éteignent, il ne me reste qu’une certitude : celle d’avoir effleuré l’essence même du sublime. Comment fait-il ? Comment est-ce possible ?

Ce disque est un sommet singulier de beauté.

Tracklist
01 - Le Soleil en Soi
02 - Requiem pour un Pou
03 - Sous les Siècles
04 - Ambrosia
05 - Religare 1
06 - Quelques kilos de Soleil
07 - Belle de Nuit
08 - Casanegra
09 - Serre
10 - Religare 2

07 mars 2025
Bellevue Music


www.facebook.com/armanmelies

 

Commentaires

  1. Anonyme16/3/25

    Tony, ta chronique me laisse aussi dans un état de vertige, comme suspendu entre deux mondes, celui du silence et celui de la musique. Il y a dans tes mots une respiration qui épouse celle de l’album, une manière d’écrire et de décrire. Merci de vivre ta passion et de la partager et je crois que c’est peut-être ça la plus belle réussite de cet album ; la musique est une expérience qui dépasse l’écoute. merci de le nous prouver.
    ADi

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