Quinquis - eor
Au creux du silence que je m'impose souvent, des musiques s'incrustent et s'imposent d'elles-mêmes. Avec son nouvel album, Émilie Quinquis pose des mots rares, des sons fragiles, des notes sensibles. eor n’est pas un disque qui cherche à combler, mais à révéler quelque chose. Quelque chose à puiser au fond de soi, à chercher dans nos vies d'auditeurs, un peu rêveurs, un peu flâneurs. Il ne remplit pas l’espace sonore, non, il le respecte. Il l’écoute et le laisse respirer, pour qu'on respire à notre tour. Une ancre parfaite pour ne pas chavirer.

Tout ici est affaire de vide et de plein, d’attente et de disparition. De simplicité et de grandeur. Le son s’élève lentement, comme une brume marine qui gagne la lande, puis s’évanouit aussitôt, laissant dans son sillage une empreinte, un frisson. La poésie est partout autour d'eor. C’est une poésie habitée, vivante, nourrie par le vent, la mémoire, la mer. Je pense à Ouessant forcément, à ses falaises noires, à ses nuits sans artifice. Ce silence-là, celui de l’île, Quinquis le connaît intimement. Il est fait de cris de goélands, de pierres mouillées, de solitude bruissante, de vie respectée. Il est l’écho des absents, le murmure des ancêtres. eor est né de ce paysage-là, de cette géographie intérieure où chaque son est une offrande, chaque voix une brise de vent qui vient de l'océan. La langue bretonne n’est pas qu'un symbole ni surtout pas du folklore : elle est une matière première, essentielle à la poésie de l'instant. Elle ne se comprend pas, elle s’éprouve. Comme un chant transmis à voix basse, au bord du sommeil, ou comme une prière murmurée dans l’ombre d’une église vide. Émilie chante pour les vivants que nous sommes, pour les morts qui restent, pour les enfants qu’on berce et les sirènes qui peuplent nos rêves de marins en quête d'évasions (eor s'inspirant de la légende Le sang de la sirène d'Anatole Le Braz où parmi les douze sirènes qui voguaient autour de l'île; l’une d'elle fut prise dans les filets d’un pêcheur avant de s’éprendre de lui et d'en faire le roi des mers, scellant leur amour d’une malédiction éternelle.) Son timbre est doux, voilé, presque effacé et pourtant, il porte en lui à la fois une puissance brute et une tendresse inouïe.
La production de eor signée Gareth Jones (Depeche Mode, Liars) épouse parfaitement cette esthétique : dépouillée, atmosphérique, organique. Les nappes électroniques et les motifs acoustiques se fondent dans un même souffle. Pas d’esbroufe, pas de démonstration, juste un écrin, une vibration. Un battement de cœur lointain et le mien s'emballe. Une houle lente qui se transforme en tempête d'émotions et quelque chose dans mon corps prend vie au fur et à mesure que les titres passent. Ce n'est pas un disque ordinaire puisque je m’y laisse glisser. J'y entre comme on entre dans une ruine oubliée, ou dans un rêve dont on ne voudra pas sortir. Il y a cette odeur d’iode, de mousse, de pluie sur les vitres et surtout, j'entends ce qui d’ordinaire se tait : le poids des éléments, la beauté des choses simples, la mémoire des souvenirs heureux, le désir palpable de rêver fort et haut. Ce n’est pas un album pour meubler, c’est un album pour se taire avec, pour vivre avec. Un album qui soigne, doucement, comme une mer d’hiver apaise les douleurs enfouies. Pas nécessairement croyant, on s’y laisse pourtant prendre comme à une expérience mystique. Pas nécessairement brisé, mais touché, profondément. Notre Björk insulaire cherche à dire. Et ce qu’elle dit, dans l'écho immense de eor, touche à l’universel. C’est un disque puissant. C'est un album pour ceux qui prennent le temps d’entendre, d'écouter, de ressentir vraiment ce qui nous rend vivant.
Tracklist
01 - Inkanuko (feat. Desire Marea)
02 - The Tumbling Point
03 - Blaz an Holen (feat. Cerys Hafana)
04 - Distro
05 - Dec'h
06 - Morwreg
07 - Peñseidi
08 - Aet On
09 mai 2025
Everything's Calm / Mute Records
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