Pub Royal, la comédie musicale

Je sors de ma Bretagne pour m’enfoncer dans les lumières de la capitale avec dans le cœur une excitation fébrile : voir enfin Pub Royal au Dôme de Paris. Fan inconditionnel des Cowboys Fringants, j’avais rendez-vous avec un nouveau rêve, une parenthèse de poésie et de fureur tendre, une comédie musicale née de leurs chansons qui brasse les émotions comme une pinte en fin de soirée : généreusement, puissamment, authentiquement.

On y entre pour boire un verre et on en ressort bouleversé. Pub Royal c'est un bar pas tout à fait comme les autres. Situé entre les vapeurs de bière et les soupirs d’âmes égarées, ce pub devient le théâtre de rencontres improbables, de confessions ivres et de révélations inattendues. Ici, les verres trinquent autant que les cœurs s’ouvrent. D'ailleurs, ils ont ouvert le mien à vif pour une ivresse sans égal.

Dès les premières notes, j’ai senti ma vie entière frissonner. C’était comme rentrer chez soi dans un lieu inconnu. Et puis j'ai pleuré, évidemment. Comment ne pas faire abstraction de ce roc de tendresse qu'était Karl Tremblay en entendant les chansons que je pensais qu'il était seul à pouvoir les chanter. C'est sans compter l'énergie physique et émotionnelle dégagée par cette troupe incroyable où acteurs, chanteurs, acrobates et danseurs se côtoient. On en prend plein les yeux et les larmes changent de camp et il ne pouvait pas y avoir de plus bel hommage pour Karl et les autres membres du groupe. 

Les voix s'élèvent, vibrantes, les corps dansent, les mélodies pleurent et rient tour à tour. Chaque tableau est un élan, une claque, une étreinte. L'univers des Cowboys Fringants prend vie sous mes yeux, le passé s'envole pour la soirée, le présent est si beau. Pub Royal, c’est la folie douce des cœurs cabossés, des gueules cassées qui chantent encore l’espoir entre deux verres. C’est une fresque humaine, généreuse, bouleversante. L’euphorie alterne avec la mélancolie, les chants à boire masquent parfois les cœurs brisés, et derrière les éclats de voix surgissent de belles et grandes lumières d’âme. Les chansons s'enchaînent, chaleureuses et débridées, entre rires francs, nostalgie amère, emballements lyriques et émerveillement devant ces corps en mouvements. Le répertoire des Cowboys Fringants est au service de l'histoire de cette comédie qui a vue le jour fin novembre 2023. Des anciennes chansons comme Joyeux calvaire, Shooter, Les maisons toutes pareilles, L'Amérique pleure, une version adaptée de Plus rien et la magnifique et émouvante Pub Royal, l'une des rares et des plus belles chansons écrites par Karl dont l'orchestration et la mise en scène est superbe, à faire papillonner toutes sortes d'émotions dans le cœur... aux dernières chansons comme Bienvenue chez nous, Questions sans réponses, (re)Bienvenue chez vous... Puis ce fût difficile de ne pas crouler sous le poids de l'émotion en entendant Loulou vs Loulou pis La Fin du show... Tout comme de voir pour la -peut-être- dernière fois ces centaines d'avions dans les airs sur Les étoiles filantes... On y ressent la chaleur humaine où les destins se croisent, s’entrechoquent et s’étreignent. Les larmes qui coulent sur les joies trahissent l'instant, c'est pourtant ultra festif dans cette ambiance tantôt feutrée, tantôt explosive. C'est la force de cette comédie qui réside dans son décor simple mais habité, dans la galerie de personnages sincères et attachants : un patron philosophe, une serveuse qui rêve de scène, un habitué au passé trouble, un musicien sur le déclin… Tous viennent y chercher quelque chose. Tous y trouvent un morceau d’eux-mêmes, comme ça doit être un peu le cas de milliers de spectateurs dans la salle. Je sais ce que je suis venu chercher, et je l'ai trouvé sous ce dôme de Paris en forme de bulle protectrice de l'extérieur, le temps d'une parenthèse de deux heures. 

Pour ma première comédie, moi qui ne suis pas spécialement fan de ça, j'ai ressenti ce moment comme une formidable célébration de la vie à la vie, de ses gueules de bois, de ses chemins de travers, de ses éclats de rire, de ses peines et de ses joies surtout. Surtout quand on y chante aussi bien l’amitié qui illumine les destins déchus et les rêves qu’on croyait noyés, qui remontent à la surface comme des bulles dans une pinte. Jamais, jamais je ne vais regretter d'avoir poussé la porte de ce Pub et d'y avoir été happé par les histoires qui s’y racontent.

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