Yann Tiersen - La valse des monstres (1995)
Je ne suis pas du genre à courir les soldes mais je ne suis jamais contre faire un petit tour chez les disquaires. J'ai trouvé La valse des monstres, à dix balles et je me suis dit que c'était valable pour compléter ma collection de vinyles. Ma rencontre avec ce disque qui fête cette année les trente ans de sa sortie ? Je ne me souviens pas de la première fois mais plutôt de la période. Je ne sais plus comment j'ai découvert Yann Tiersen mais je me souviens parfaitement de ces soirs un peu flous, la lumière tamisée d’un studio, et puis ce disque dans mes oreilles. Un manège fait de nouveaux horizons s'ouvrait en moi. Les notes, légères et tordues, comme des poupées de chiffon qui dansent sous la pluie, m’ont cueilli à l’endroit exact où la mémoire se confond avec le rêve. En cette période c'était le bordel dans ma vie, mais avec les musiques de La valse des monstres c'était un beau bordel tourbillonnant dans ma tête. Les monstres de Tiersen ressemblaient à mes troubles de jeune adulte, ceux qui rendent, malgré tout, la vie si intense.

Yann Tiersen, je ne le voyais pas, mais je le devinais penché sur son piano tel un bricoleur d’émotions, un poète des rouages rouillés. Sa musique n’était ni triste, ni gaie. Elle boitait un peu comme elle riait entre deux soupirs. Elle me disait que les monstres aussi savaient valser, et que même les ombres, parfois, avaient des ailes. Je pouvais ainsi décoller et m'envoler grâce à lui.
J'imagine ce premier disque composé à partir d'une maquette avec des moyens dérisoires — un violon acheté au marché, un piano pour enfant, un accordéon brinquebalant — qui révèle d’emblée une destination singulière. Tiersen ne joue pas de la musique : il la fabrique. Il assemble, bidouille, ressuscite des mélodies enfouies en nous avec la gravité du funambule. Car c’est bien d’équilibre dont il s’agit ici : entre le doux et l’étrange, le manège et le deuil, la réalité et la folie, les boîtes à musique et les fantômes qui les hantent. Comme une boîte de Pandore dont les émotions s'échappent quand on l'ouvre.
On entend dans chaque piste le grain du bois, le frottement des cordes, le soupir du souffle. Des valses miniatures, des ritournelles d'ailleurs, des crescendos minuscules qui grimpent vers l’émotion comme on grimpe dans le grenier d'une vieille maison bretonne. Il y a du Satie, du Nyman, mais aussi quelque chose de plus sauvage, de plus instinctif. L’album, qui peut être inspiré par le théâtre de Copi et par la série culte Twin Peaks, est une traversée de l’étrangeté mais tendre. En même temps, l'album née de morceaux écrits pour deux pièces de théâtre : Le Tambourin de soie (les six derniers morceaux) et Freaks (les onze premiers morceaux). On peut y trouver dix milles références.
Écouter La valse des monstres aujourd’hui, c’est revenir au point de départ d’un parcours qui emmènera Yann Tiersen très loin — jusqu’au succès d'un certain film, bien sûr, mais aussi vers des territoires plus bruitistes, plus brumeux, souvent onirique, toujours enivrant. C’est retrouver l’émerveillement initial, brut, modeste et fulgurant. C'est aimer cette Bretagne discrète et fidèle à elle-même que Tiersen habille magnifiquement. C’est se laisser happer par la grâce désaccordée d’un musicien qui, sans rien dire, a tout dit dans sa musique.

Tracklist
01 - Mouvement introductif
02 - La valse des monstres
03 - Frida
04 - Quimper 94
05 - Ballendaï
06 - Comptine d'été N.º 17
07 - Cléo au trapèze
08 - La valse des monstres
09 - Le banquet
10 - Comptine d'été N.º 17
11 - Mouvement introductif
12 - La rue
13 - Iwakichi
14 - Hanako
15 - La plaisanterie
16 - Le compteur
17 - Mouvement introductif
13 juin 1995
Sine Terra Firma
/ Ici d'Ailleurs 1998
www.yanntiersen.com
Commentaires
Enregistrer un commentaire