Renaud - À la Belle de Mai (1994)

À la Belle de Mai, c’est une balade dans l’air d'une époque où l'âme de Renaud dévoile ses mots comme des caresses ou des coups de poing, des récits murmurés au coin d’un vieux bar de quartier. L'album sorti en novembre 1994 est une véritable pépite, un témoignage vibrant de son talent marquant profondément cette époque. Il y avait encore cette authenticité brute, cette capacité à exposer ses tripes sans filtre même si c'est un Renaud usé qui reprend le micro. Les accords de guitare résonnent comme des souvenirs d'une époque pas si lointaine, mais déjà empreinte de nostalgie, tout comme la pochette, synonyme d'une enfance trop lointaine. Le boîtier métallique m’offrant par la même occasion un véritable petit trésor sentimental qui perdure.

Quand j'écoute ce disque, un vent souffle sur les pages jaunies de mon carnet adolescent, chaque chanson est un poème, chaque vers est une invitation à réflexion, à la rébellion. Des ritournelles sont restées, gravées quelque part dans la poitrine depuis toutes ces années... L'essentiel à nous apprendre, c'est l'amour des livres qui fait / Qu'tu peux voyager d'ta chambre autour de l'humanité... On avait dix ans / Pis on ignorait / Qu'un jour on s'rait grands / Pis qu'on mourirait... À cause de quoi ? À cause qu'on s'demande bien pourquoi / T'as jamais un pape sur les toits / Être trop près du ciel p't'être qu'y z'aiment pas... Merde aux hommes et merde à Dieu / Il dit en raccrochant son bleu / Mon enfant a compris mieux que moi / Le bonheur de faire péter tout ça... Renverse la pyramide / Mets la tête en bas / Mais tu n'seras pas plus libre / Quand le peuple régnera / Y'aura toujours des Bastilles / À faire tomber, Lolita / Les hommes entre eux sont bien pires / Que les rats !... Maréchaux assassins / L'amour ne vous dit rien / À part bien sûr celui / De la Patrie hélas / Cette idée dégueulasse / Qu'à mon tour je conchie...

La voix de Renaud, tour à tour douce et éraillée, nous conduit à travers les rues pavées de ses pensées, ses révoltes et ses tendresses. Chaque écoute de cet album me procure une sensation hors du temps. Il avait ce don rare de dépeindre les petits et grands moments de la vie avec une simplicité désarmante et une légèreté touchante.

L'album fête ses 30 ans, mais les mélodies restent intemporelles, les paroles vibrent encore avec la même intensité. Même avec ce putain de cheveu blanc. C'est une promenade au cœur de ce que l’humanité a encore de plus beau à offrir, un hommage aux petites gens, aux oubliés, et à ceux qui trouvent leur force dans la simplicité du quotidien. Du Renaud tout craché quoi. À la Belle de Mai, c’est une galerie de portraits, des instantanés de vie où le Paf le chat sur le toit observe, tranquille, les allées et venues des rêves et des espoirs. C’est une lueur dans la cheminée allumée, un sapin de Noël décoré en ces derniers jours de novembre gris, une chaleur qui ne faiblit pas tout en laissant s'installer une mélancolie du temps qui passe. On grandit en même temps qu'il évolue. Lui qui observe, qui tombe et qui se relève toujours. L'écouter, c'est comprendre aussi sa propre existence.

Ça commence par une critique acerbe de la société avec La Ballade de Willy Brouillard où Renaud explore les contradictions d'un flic qui se sent piégé dans son propre quotidien. C'est vrai qu'on ne va pas mettre de la musique sur la vie d'un flic mais il raconte cette histoire banale de façon si touchante... Il y chante également les inégalités de la société dans le sublime Lolito Lolita symbolisé par une pyramide où trop de gens souffrent de la misère et de l'oppression. Mais la chanson "contestataire" est bien la douce C'est quand qu'on va où ? critique tout en nuance d'un système éducatif et de la société en général qui font de nous de beaux petits pantins.

Dans ce disque, Renaud met en garde contre l'illusion de liberté, soulignant que le véritable changement sera toujours difficile à atteindre. Même en abordant la quarantaine, ses vieux démons ne sont jamais trop loin et se devinent au fil de ses textes. Il reste un écorché vif et quand j'écoute Le petit chat est mort je suis ému, quand j'écoute Son bleu je m'indigne de cette société où on se casse les dents sur les pavés de son injustice au lieu de lui balancer à la tronche, quand j'écoute Le sirop de la rue je sais que mon enfance me manque terriblement et que cette innocence fait défaut dans nos vies d'adultes. Dans ce disque, j'entends un auteur profondément humain qui rejette ce que l'homme a de plus hideux en lui. Il y a une forme de naïveté, une pureté évidente mais surtout une grosse poésie émouvante qui fait que j'adore ce disque et qu'il a été, indirectement, une pierre à l'édifice de mon éducation. Malgré les apparences d'une fête foraine, c'est plutôt sombre, Renaud continue lentement sa descente aux enfers. On y ressent le poids de cette vie qui le rend si nostalgique, qu'il chante pourtant si bien de façon plus ou moins légère. Cheveu blanc où il chante avec humour la vieillesse qui approche et puis ses questions sur le premier amoureux de Lolita (Mon amoureux) empreinte de sa poésie si caractéristique et si sentimentale. Le disque se termine avec La médaille, aux paroles sublimes, fortes de sens. Tout comme Hexagone, aujourd'hui trente ans plus tard ce titre résonne toujours aussi violemment dans notre quotidien, où on retiendra finalement que l'histoire ne nous servira jamais d'avertissement. Avec en tête de cortège nos curés, nos militaires et nos dirigeants, la majorité de cette humanité reste indécrottablement mauvaise. Trente ans plus tard, rien ne change et je suis fatigué. Il me reste que ces moments musicaux où le titi parisien, par la sincérité de son regard sur ce monde me fait du bien... Pour rester debout.

Tracklist
01 - La Ballade de Willy Brouillard
02 - À la Belle de Mai
03 - C'est quand qu'on va où ?
04 - Le Sirop de la rue
05 - Devant les lavabos
06 - Cheveu blanc
07 - Le Petit Chat est mort
08 - Adios Zapata !
09 - Son bleu
10 - Mon amoureux
11. Lolito Lolita
12. La Médaille

18 novembre 1994
Ceci Cela / Parlophone Music


www.renaud-lesite.fr

 

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Commentaires

  1. Jolie chronique sur un album qui ne l'est pas moins. Parmi les grandes chansons de ce disque , il y a bien sur sur le tube "C'est quand qu'on va ou?" ou encore "Le sirop de la rue" pour le reste, je suis , malgré vos éloges pour ce disque, un peu resté sur ma faim tant j'ai eu l'impression que Renaud manquait tout à coup d'inspiration au point de rééditer la chanson "Dans ton sac" du 33 tours précédent avec "Devant les lavabos" . Un album qui annoncera , hélas, un petit déclin le concernant ...

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