Adieu Marquise - Anthologie de la disparition (2025)
Cher(e) ami(e),
inconnu(e), ou imaginaire,
Je t’écris pour te confier une rencontre qui m’a laissé sans voix, plus vibrant que jamais : Anthologie de la disparition d’Adieu Marquise. Ce n’est pas seulement un disque (édité seulement en cassette audio), mais une secousse intérieure, un coup porté au cœur avec la délicatesse d’une caresse envahissante. J’ai eu la sensation étrange d’assister à la révélation d’un monde que je refuse de croire enfoui sous l’avalanche de contenus virtuels, sous les flux incessants d’images et de bruits, de notifications et de stimulations anxiogènes qui nous assiègent chaque jour. Un monde qui, malgré ce tumulte numérique, soudain se déploie avec ses ombres et ses lumières, ses vertiges et ses apaisements, un monde qui respire et qui pulse à sa propre mesure, comme un souffle secret que l’on n’attendait plus mais qui vous bouleverse quand il surgit.
Écouter cet album, c’est sentir le Gwalarn souffler sur les côtes bretonnes, ce vent rugueux et salé qui emporte avec lui les brumes, les odeurs d’algues et de varech, et dénude les rochers comme on déshabille un cœur. Il balaie les certitudes, il secoue les habitudes, et par son passage ouvre un paysage insoupçonné sur la beauté fragile des choses, nues, bouleversantes. Il y a dans ces dix chansons quelque chose d’une première fois, une intensité rare où l’on se dit : « voilà, je découvre enfin ce que j’attendais sans le savoir. » Comme un frisson qui traverse le corps, une émotion si vive qu’elle laisse des traces, comme si la musique venait de graver en moi une mémoire nouvelle.

Il y a dans cette œuvre un vertige, un souffle qui naît au croisement du cinéma, de la photographie et de la pop française, comme si chaque note avait été éclairée par un projecteur imaginé pour révéler l’invisible. Arnaud Ranty y distille un mélange d’influences d’une rare subtilité, assimilées avec une précision presque magique, comme si l’histoire entière de la musique française contemporaine se retrouvait condensée dans chaque accord, chaque respiration de voix. C'est une vague qui me submerge dans son versant le plus sombre et le plus mélancolique, en y déployant ses spleens et ses lumières. Je me surprends à reconnaître des échos de films jamais vus, des paysages oubliés de ma mémoire, des visages qui hantent doucement mes pensées, comme si l’album lui-même savait où frapper pour éveiller la part la plus sensible de notre propre être. Ici, nous ne sommes pas qu'auditeur. Chaque morceau est une fenêtre ouverte sur un monde fragile et fugace, une atmosphère où le temps s’étire, où la mélancolie devient beauté et où l’on se sent à la fois perdu et miraculeusement retrouvé. C’est un vertige doux et lancinant, celui que l’on ressent face à une révélation qui vous transforme sans prévenir.
Mais Anthologie de la disparition ne se contente pas de convoquer notre patrimoine culturel, elle l’enrichit, l’embrase même, avec cette littérature française du milieu du XXe siècle, vibrante de liberté et d’invention. On y sent le désir fou de créer, de briser les cadres, de rêver un monde que l’on croyait perdu, projeté dans chaque note, chaque accord, chaque tonalité, chaque couleur. Les compositions mêlent la délicatesse expérimentale d’une pop brûlante et incarnée, traversée par une mélancolie affolante qui relie, en fil invisible, des décennies entières d’art et d’émotion. Chaque titre semble respirer avec une intensité singulière : Variations sur l'attente qui ouvre l'album comme on ouvre une fenêtre, m'offre à respirer cette
esthétique qui façonne mes émotions à suivre... Par le soir finissant évoque des crépuscules humides et les pavés luisants de ruelles oubliées, tandis que Dearest Heart déploie une tendresse émotive qui se glisse sous la peau comme un frisson inattendu. L’Oiseau blanc s’élance en liberté, et l’on sent le vent caresser les côtes, comme si la musique elle-même transportait le souffle du large. Chaque morceau est un microcosme, un paysage sonore où l’on peut s'y perdre, flotter entre ombre et lumière, entre nostalgie et espoir.
Écouter cet album, c’est voyager de BO mythiques des années soixante et soixante-dix, aux rock underground les plus intenses, jusqu’à une pop indé d’une beauté lumineuse, comme un phare fragile dans l’obscurité. C’est lire l’histoire de notre sensibilité collective, sentir cette page encore ouverte de créativité française, celle au bord de l’effondrement mais toujours vêtue d’une fragilité splendide. Le pessimisme s’y fait philosophie salvatrice, et pourtant, à travers ce tumulte, Adieu Marquise parvient à insuffler un souffle nouveau, à redonner au monde un éclat, un vertige, une émotion qui semble presque miraculeuse, comme si chaque note pouvait rallumer quelque chose en nous que l’on croyait perdu. Mais je crois que je l'ai déjà dit.
Cet album me rappelle, avec une douceur implacable, que dans ce vortex de noirceur collective, le devenir de mon âme reste ce qui importe le plus. Que le lien avec le passé n’est jamais un fardeau, mais une lumière dans laquelle je peux lire le futur. Et dans cette lumière, je découvre de la beauté, de l’émotion, de la grâce, et je sens cette invitation irrésistible à me perdre, à rêver et, peut-être, à me retrouver. Chaque note, chaque souffle de voix semble tissé pour moi comme un fil de poésie, fragile et intense, qui relie mes souvenirs, mes espoirs et mes songes les plus secrets. C’est dans cette poésie que je me sens vivant, que je respire pleinement, et que je comprends, enfin, combien la musique peut être un langage de l’âme.
Avec la tendre sincérité de celui qui partage un émerveillement,
Tony
01 Variations sur l’attente
02 Dearest Heart
03 Eau forte
04 Au milieu de l’hiver, un invincible été
05 Aelita
06 Ouverture
07 L’oiseau blanc
08 L’astre reine
09 Par le soir finissant
10 Une vie pour rien
14 juin 2025
Les Disques Bleus enregistrements
www.lesdisquesbleus.bandcamp.com/anthologie-de-la-disparition
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